sélection de textes

L’arc et la flèche

…Ce qui m’attire dans la peinture de Luc LEROUGE, c’est précisément ces figures peu chrétiennes, ces êtres à double face qui contiennent aussi bien l’angoisse que la délivrance, ces personnages plongés dans la catharsis.
… Le grand voyage est, bien sûr, celui du retour à soi-même.
Egidio ALVARO Revue INTERFACE Paris, mai 1984

Solitude biologique

Luc LEROUGE a cette urgence à couvrir, marquer, raturer d’un chantier de matière boueuse et pathétique…
Barbara LEMOINE Paris, REVUE L’ART VIVANT 1985

Luc LEROUGE : « je cherche le moment furtif et précaire »

Figurations rageuses d’une réalité insaisissable et d’un imaginaire en proie aux turbulences immaîtrisables, images énigmatiques d’un homme écorché, torturé, agonisant, apocalyptique, mais, toujours vivant, pionnier d’une renaissance qui tarde à se concrétiser, témoin d’une liberté violentée de toutes parts, les peintures de Luc LEROUGE sont, à leur manière, le miroir d’un vertige. D’une toile à l’autre, l’ange et la bête se métamorphosent, changent d’apparence, dans les innombrables facettes de l’émotion mise à nu.
…Voici donc une peinture qui interroge l’essentiel.
Egidio ALVARO Revue INTERFACE Paris, mars 1986

ILS

…Eléments originels et bruts de l’écriture picturale, matières inscrites dans la matière, ces « ILS » anonymes et multiples ne racontent pas leur existence anecdotique, échappent à toute mise en scène distanciatrice et montrent seulement, dans leur mutisme impitoyable, le tragique de la condition humaine, que nous décryptons dans leur langage sémaphorique.
Au-delà du dépouillement, de la nudité, à travers la désincarnation, la peinture de Luc LEROUGE refuse le paraître pour atteindre l’être. C’est dire combien elle peut déranger, dans une époque où discours et paraître sont les seules valeurs sûres pour une reconnaissance sociale…
Marie Lerouge février 1988

Quoi peindre ?

…Si l’on examine les œuvres d’art au travers du temps et des civilisations, c’est toujours l’énigme de l’homme, l’épouvante de la conscience, l’homme devant la mort qui fournissent la trame de l’art. Recommencer inlassablement, revenir à l’essentiel, retourner aux origines de la peinture, c’est « faire son déjeuner sur l’herbe drue des œuvres fécondes », c’est à dire reprendre toujours l’énigme du sphinx qui pose la question de l’homme. Luc LEROUGE 1994 Bagneux catalogue Galerie Sud,1994

Mise en abyme

l’ange, symbole de communication, représente à la fois un archétype de notre culture occidentale et le vecteur des nouvelles technologies.
Émetteur d’un message, il pose la question sans réponse, car devenu profane, il est un arrêt sur image des couleurs. Mise en abyme du silence pictural, il opère une fusion chaude du champ pictural d’un face à face entre passé et présent.
Luc LEROUGE Catalogue VIA FESTIVAL#3 1997

Le métissage et le frottement des arts rendent plus aigu la sensation propre à chaque expression artistique. L’art moderne a mis à nu la vérité de l’art, toute mon énergie passera dans une vérité de la peinture. Faire acte de peinture: a capella, alla prima…Couleurs primaires, Bleu, couleur de fond d’espace et de pureté, Jaune, lumière, vecteur d’un message ou d’une question, Rouge, incarnation de l’idée, attente, présent et futur. Bleu, jaune, rouge, couleurs primordiales, palette d’outils primaires où le peintre se met en scène pour mieux chercher son espace. L’homme est un centre, le trio est un cercle, un, deux, trois, jeu du centre et de la périphérie, composition… Luc LEROUGE Catalogue du CRANE aux Pays-Bas 1998

Alla prima…

…Le sujet essentiel est l’épouvante de la conscience. C’est toujours la nouvelle question du sphinx : Qu’est ce que l’homme? Malgré toutes les ruptures du modernisme et de l’art contemporain, je continue à revendiquer la peinture en repartant de zéro, des origines, à la fois dans l’histoire de l’art mais aussi dans mes propres sensations. …L’art moderne a mis à nu la vérité de l’art, toute mon énergie passera dans une vérité de la peinture….Faire acte de peinture: a capella, alla prima…..
Luc Lerouge 1998

“L’HOMME DU PUITS, MEME”

…Semblable à l’homme de Lascaux, duplication à la façon d’un ready made, cette figure clonée et nomade représente une volonté d’anachronisme dans le champ actuel de l’art. La survivance et l’apparition deviennent un processus de dissemblance et de ressemblance, de défiguration et de refiguration picturale, toujours dans un souci dialectique où l’unité, la dualité, la trinité sont des hypothèses récurrentes dans mon travail. Faire de la peinture un instrument de pensée, un outil de communication pour exprimer un vécu, une sensation, pour exprimer l’homme, “un passage d’un rêve à un autre”. Luc LEROUGE Quincerot, Catalogue du CRANE SYMPOSIUM #5 1999
“ FRONTIÈRES DES MONDES”

Faire acte de peinture : a capella, alla prima… …Peinture, installation, performance, et image numérique sont des outils employés séparément ou ensemble selon la nécessité ou le désir d’investir un espace. …L’hommage à Primo LEVI -par la mention de son numéro dedéporté 174517- et le jeu de morpion, ludique et coloré, ironie du hasard qui décide de la vie et de la mort, sont le support d’un processus sans cesse en mouvement. Le sujet essentiel est l’épouvante de la conscience. C’est l’éternelle question du sphinx : qu’est-ce que l’homme ?…Une vérité de la peinture qui m’apprend à être humain. Luc LEROUGE 2001_2002 Montréal, catalogue festival Dérapage contrôlé,2001
…« La vie est probablement ronde » est une phrase tirée des correspondances de Vincent Van Gogh à son frère Théo. La vision du monde est largement ronde si l’on considère que la notion de progrès ne contient que des avancées uniquement technologiques. La dimension humaine dans son vivant, son biologique et surtout sa pensée justifient cette vision circulaire.

« La vie est probablement ronde » est une œuvre vivante qui fluctue en termes de présentation, d’apparences, elle naît, disparaît et renait pour réapparaître plus loin autrement et ailleurs. En réactualisant directement une œuvre vivante et durable en constant développement de sa structure et de ses apparences. « La vie est probablement ronde » englobe plusieurs thématiques employées dans mon travail par le passé comme « Lascaux », lieu nomade de création, où la « grotte est l’atelier » en utilisant l’image de « l’homme du puîts » de lascaux comme icône de l’être humain, comme iconographie contemporaine de l’homme, ou « Entre Lascaux et moi il y a eu la création de Dieu et sa mort » phrase écrite au sol au cours de mes interventions artistiques de ces dernières années .

…« La vie est probablement ronde » est une représentation de la vie, représentation de la vie cosmique, de la vie biologique, de l’infiniment grand, de l’infiniment petit où le rond est noyaux, cellules, cercles, planètes, cieux, mondes. Les points, les cercles, les lignes et les couleurs primaires habitent le carré pour assurer le lieu de la vie. Le rond possède un sens universel et la spécificité de l’univers, indice de perfection symbolisant les cieux des mondes qu’ils soient organiques ou numériques.

« La vie est probablement ronde » est donc un prétexte à réinventer des formes et supports différents. Luc Lerouge 2008
Les Annonciations

« Qu‘est ce qu’un pinceau qui cherche à imiter l’essentiel ? Ce n’est pas un pinceau qui cherche à « teindre », à donner l’improbable coloris de l’essentiel. Mais ce peut être un pinceau qui cherche l’essentiel dans l’acte – simple, humble et risqué – de disposer ou projeter un liquide coloré sur une paroi comme on y projetterait la myrrhe et l’aloès » Georges Didi-Huberman

… Le thème de l’Annonciation a inspiré depuis longtemps les artistes en symbolisant « le mystère de l’Incarnation ». Au-delà du thème religieux, ce mystère devient pour moi matrice de pensée esthétique et artistique de la réalisation de l’Art.

… C’est un cycle temporel réunissant un présent non visible de l’Incarnation mais aussi une communication où « l’émetteur reçoit du récepteur son propre message sous une forme inversée » selon Lacan. Dans l’instant d’une parole, l’Incarnation est « une éternité dans le temps, l’immensité dans la mesure, la vie dans la mort, l’infigurable dans la figure, l’inénarrable dans le discours… » (2), C’est une « figure dissemblable » (3) parce qu’elle ne montre rien.

La peinture est capable d’élaborer une structure entre passé et avenir, c’est un champ des possibles, au delà des figurations reconnaissables. La peinture utilise son propre mode de représentation du monde. Elle est le lieu d’une pensée métaphysique balançant entre Aristote où le lieu n’existe que dans la « phantasia » c’est à dire l’imagination et la connaissance que l’on a du sujet, à Platon où le lieu sera réceptacle, empreinte – préfigurant l’espace perspectif et le théâtre de l’illusion. L’Annonciation de Ambrozio Lorenzeti, considérée comme la « première annonciation », la peinture exégétique de Fra Angelico, nourrie de symbolique religieuse mais construite dans un espace perspectif et le tableau de Matisse la Conversation où le peintre utilise un sujet de l’intimité d’une discussion d’un homme et d’une femme « interrompue » par la vision d’un jardin à travers une fenêtre, sont des œuvres emblématiques de mon attirance vers cette problématique dans laquelle la peinture devient un monde autonome où fonds, figures, lieux attisent ma réflexion.

Toute cosmogonie a pour noyau une hiérogamie, c’est à dire un principe complémentaire de sexe opposé, le thème de l’Annonciation reprend ce « deux à deux », cher à Matisse, qu’il a beaucoup travaillé, en confrontant la dualité par des oppositions de contrastes et répétitions – droites et courbes, intérieurs et extérieurs etc. – tout en cherchant une unité de l’espace pictural, par la couleur notamment.

…. La dichotomie dessin – couleur, les répétitions de signes graphiques, de matières colorées sont les ingrédients, les stigmates d’une obsession de mettre en forme un chaos de réflexions, d’intuitions, de sentiments et de sensations qui sont peut être à chaque fois un instantané de ce que je suis.

(2) Daniel Arasse (3) Georges Didi-Huberman

Luc Lerouge Chevry-Cossigny, Catalogue de l’exposition « L’un-e et l’Autre » #1, centre culturel la Marmite 2013